L'entropie Savoyarde

L'entropie Savoyarde

La météo avait l'air plus clémente et propice au vol de distance dans le Nord des Alpes Française, en Savoie quoi. Profitant de l'expérience de Nicolas qui avait bouclé son premier 100km le WE d'avant, nous avons décidé d'aller faire, à notre tour, un saut dans le même coin. Et comme à notre habitude, nous nous sommes un peu éparpillés...

« On part à 6, on rentre à 6 ! »

Nicolas avait donné le ton de la journée. Nous étions 6, dont 5 partis tôt de Grenoble pour découvrir le site de La Sambuy qui nous promettait monts et merveilles après le récit de Nicolas la semaine passée. Une occasion également d'aller découvrir ces montagnes au Nord de chez nous dans lesquelles nous allons rarement. Et puis en plus, on avait un guide !

Lorsque l'idée avait été lancée, la motivation avait suivi, cela faisait plaisir à voir même si l'heure de départ contrastait beaucoup avec nos habitudes parapentesques. Mais, quand on aime, on ne compte pas comme on dit. Donc réveil à 6h15.

L'objectif était d'atteindre la navette gratuite de 9h07, mais on avait pris de la marge, on est arrivé à 8h25 à Doussart... Et pourtant, nous n'avons pas eu de place dans la petite navette pleine de VTTistes et de parapentistes qui avaient réussi à la prendre à l’arrêt d'avant. Nous avons quand même réussi à en bourrer un à l'intérieur histoire de ne prendre qu'une seule voiture pour aller là bas et d'en garder une dans le coin. Bref, on aurait pu dormir plus longtemps...

Arrivé à La Sambuy, nous devions prendre le télésiège pour atteindre le décollage et nous avons été accueilli par une hôtesse de caisse nous faisant le topo.

« Alors, il y a 10/15 de vent en NO au déco et une température de 13°C. Attention, il y a vraiment beaucoup de parapentistes là haut ! Vous voulez la carte aérologique du coin ? »

« Non, merci. On a un guide aujourd'hui » répondit JB en prenant les tickets de la remontée mécanique.

Moi, j'étais assez surpris d'avoir ce genre d'informations à la caisse. On aurait peut être du la prendre cette carte, juste pour voir... Mais pour toi, cher lecteur, j'ai retrouvé le document en ligne !

Après 20 minutes de montée, un sandwich avalé et quelques arrêts pour les personnes qui ont du mal à monter ou à descendre des sièges, nous arrivons au sommet de la station (voir photo en entête de l'article). Au loin se trouve le fameux Lac d'Annecy. Au dessus de nous se trouvent quelques voiles, au dessus encore, un énorme cumulus (qui se révélera être un très gentil cumulus) les fait monter tranquillement.

Au niveau du sol, une horde de parapentistes étalent des ailes là où ils trouvent de la place pour faire leur prévol. Une file d'attente s'est formée pour accéder au décollage qui ne peut pas faire partir plus de 2 ailes à la fois même si parfois, on voit 3 ailes au sol. Mais le débit est bon et l'attente assez courte.

Après un topo rapide de Nicolas sur le coin, sur le décollage et les atterrissages, le cheminement et les transitions, nous nous préparons sereinement. Les randonneurs zigzaguent entre les ailes pendant que nous réglons les radios, que nous vérifions les voiles et que nous remplissons les sellettes de quoi manger.

Enfin, nous sommes prêt. Le décollage s'est bien vidé depuis notre arrivée, nous serons parmi les derniers à partir aujourd'hui. Et le ciel est vide également, les pilotes arrivent facilement au nuage avant de partir, ce qui est bon signe pour nous.

« On part à 6, on rentre à 6 ! », nous rappelle Nicolas.

Ça serait beau mais on sait très bien que ça ne fonctionne jamais comme ça chez nous ! Et puis, je tiens à rappeler que l'un de nous n'a pas de radio... n'est ce pas JB ;-)

Nous décollons les uns après les autres et montons au nuage plus ou moins facilement. Nicolas se met en stand-by pour attendre les derniers à décoller, à savoir Alexis et Damien. Mais prétextant une attaque d'un rapace, Lionel se fait la malle vers le Sud avec JB. Ça commence bien le vol groupé...

Malgré tout, nous cheminons à 6 avec quelques minutes d'écart en direction de la Dent de l'Arclusaz. Une magnifique face Est qui nous change de nos faces Est dans le Vercors ou la Chartreuse. Et puis la Dent de l'Arclusaz c'est pas encore totalement l'inconnu, on vient voler régulièrement à Montlambert. C'est la suite qui est inconnue pour la plupart d'entre nous.

Arrivée au nuage, les premiers se mettent un peu en attente pour que les retardataires arrivent et montent pour entrer dans le dur. Ce point marque la fin de l'échauffement, maintenant, l'entropie peut partir en flèche ! On aura quand même réussi à voler plus ou moins ensemble pendant 45 minutes !

A partir de là, JB et Lionel s'enfoncent plus profondément dans les Bauges, le premier quittant Lionel avant la Galopaz pour rejoindre le Grand Colombier et remonter en direction du Lac d'Annecy par le Roc des Bœufs. Lionel n'ayant pas vu JB bifurquer fera un sommet supplémentaire avant de le suivre avec quelques minutes de retard.

Pendant ce temps là, Nicolas et moi attendons patiemment au nuage qu'Alexis et Damien montent à leur tour. Mais voyant le cycle se terminer et ne souhaitant pas perdre notre altitude, nous avançons sur la crête Ouest de la Dent de l'Arclusaz en récupérant régulièrement des bons thermiques pour rester au nuage. Nous patientons encore un peu mais les deux derniers ne montant pas, nous entamons la transition sur le Mont Trélod depuis 2600m.

Nous nous retrouvons à 2 de l'autre côté de la transition avec le lac en fond. Damien en radio a réussi à faire le plafond et démarre la transition. Alexis galère à trouver un truc sympa et à atteindre l'altitude minimale pour transiter. Nous nous plaçons une nouvelle fois en stand-by au nuage avec Nicolas. Damien nous rattrape mais Alexis est toujours de l'autre côté, il est limite limite pour passer sereinement.

Pendant que nous attendons, Nicolas regarde les conditions dans la vallée.

« Ça ne gonfle pas à Doussard. Cela signifie que la brise ne rentre pas ou pas trop. On a donc pas besoin d'aller sur le Roc des Bœufs pour passer le lac. On va faire une fléchette du Trélod directement sur la Forclaz ! Mais faut pas tarder non plus. »

Désolé Alexis, on va devoir t'abandonner, le guide a parlé ! Nous montons au nuage (dans le nuage ?) et partons depuis 2700m en direction du massif suivant.

« Ici Lionel, je suis au Colombier. Je vise quoi ensuite ? » nous demande-t-il sur la fréquence club.

« Tu vois les deux crêtes devant toi (ndr le Mont Julioz) ? Tu vises la crête en rocher à droite. T'essayes de te refaire un peu et après tu pars sur le Roc des Bœufs qui est plus loin » lui répond Nicolas.

« Bien reçu. »

Notre transition se passe plutôt bien. Nicolas nous donne le cap et la direction pour faire la laisse de chien et passer sans problèmes. Mais bientôt une inquiétude pointe le bout de son nez chez lui.

« Je crois qu'on arrive trop tôt, il n'y a personne à la Tournette. »

En effet, pas une seule voile à la Tournette. Et les voiles de la Forclaz sont pas bien hautes. De toute façon, c'est pas grave, on va voir quand même, on va pas s’arrêter au milieu de la transition. Au pire, on se mettra dans le manège, on jouera des stabs avec les bi pour rester haut mais on continuera coûte que coûte ! Ou pas...

On raccroche en face, Nicolas 350m plus haut que moi. Damien est sur nos talons. Alexis a réussi la transition sur le Trélod. Il a entre 30 et 45 minutes de retard sur nous. Arrivé assez haut, Nicolas transite directement sur la Tournette, ça commence tout juste à sortir. Avec Damien, on a un peu plus de mal à sortir mais on tente le coup quand même. On va gratter du rocher pendant un moment pour arriver au sommet.

Nicolas se met en attente sous le nuage au sommet. Damien le rattrape mais je galère à mon tour à sortir. Je ne parviens pas à trouver un truc qui me permette de dépasser le sommet ! Frustration. Et je sais que si je galère trop longtemps, ils vont partir sans moi. Adieu les Aravis, adieu le vol de groupe qui a déjà pas mal de plomb dans l'aile...

« J'entame la transition sur le lac » nous annonce Lionel.

« J'ai réussi à me refaire, je me lance sur le lac » réplique Alexis.

Lionel passera sans problème mais Alexis voulant nous rattraper n'aura pas fait ses plafonds correctement et n'aura d’autres choix que de poser à Doussard. Commencera alors pour lui la difficile deuxième partie de la journée, la logistique des voitures à aller chercher !

Je galère grave, les deux autres au nuage partent sans moi (et ils ont bien raison), le cycle est fini, je redescends à 1600m, obligé de repasser sur la Forclaz pour y chercher un truc. J'apprendrai plus tard que JB a trouvé un truc à la Forclaz et a réussi à se placer 15 minutes derrière Nicolas et Damien pour la transition sur les Aravis. Et pendant que je redescends, Lionel me dépasse et tire directement sur la Tournette à son tour.

Début de la transition de la Tournette sur les Aravis

« Vous croyez que je peux attendre le Col du Tamié depuis la Tournette à 2700m ? » demande Lionel en radio.

« Heu... » répond dubitatif Nicolas. « Essaye, tu verras bien ! »

A mon tour de prendre plein de gaz à la Forclaz. Je suis de nouveau dans la course ! Je vais essayer de les rattraper malgré leurs guns. J'arrive haut à la Tournette et je pars en direction de la Montagne de Sulens à 2800m (plus haut que Nicolas et Damien à 2700m mais moins que JB à 3000m). Je suis dans la marge d'erreur, si ils sont passés, il n'y a pas de raisons que je ne passe pas !

Du coup, mon plan de vol change un peu. A défaut d'aller à la Pointe Percée, j'essaye de les rattraper quand ils reviennent vers le Sud pour rentrer avec eux sur le Col du Tamié. On fera les Aravis complètement la prochaine fois.

« Rémi, je suis à 2800m, j'entame la transition » annonçais-je avec joie !

« Super ! » me répond Nicolas.

En plus, j'ai un gun qui est parti de plus bas que moi et qui va dans la même direction, au moins il me montrera le chemin et me matérialisera la masse d'air.

J'arrive à la Montagne de Sulens, le gun se refait devant moi. Je vole le rejoindre pendant qu'il se fait satelliser. Mais en arrivant, je me fais tarter la gueule dans tous les sens. Les cumulus ont disparu du sommet et je n'arrive pas à comprendre où se trouve les thermiques. Je comprend alors que je me prend des rouleaux parce que la brise arrive du lac et que je suis trop bas pour avoir quelque chose de bien formé.

Mais comment sont passés les autres ? Cette question me hantera toute la journée jusqu'à ce que je vois les traces. Après analyse, je pense avoir raté le cycle. Ce sont des choses qui arrivent...

« Lionel, posé au Col du Tamié ». Bravo Lionel. Au moins un qui aura bouclé un truc ! Et puis de toute façon, moi le posé va pas tarder non plus.

« Alexis, j'attends la navette pour aller chercher la voiture » déclare Alexis.

Je me dirige vers une autre butte dans l'espoir de retrouver un truc, mais rien, la brise lave tout et le cycle n'est pas avec moi. La mort dans l'âme, je me résous à aller poser au milieu des Aravis. J'ai quand même la présence d'esprit de me rapprocher d'une route assez passante pour lever le pouce plus facilement. Je me pose sans encombre, un peu furieux de ne pas avoir réussi cette transition et de ne pas pouvoir mettre de mots sur ce qu'il s'est passé. Je plie en vitesse et je commence à marcher en direction de Thônes.

En radio, c'est le silence total, je suis dans les combes et cela passe mal, j'ai du mal à saisir ce qu'il se passe en l'air. Je comprends de temps en temps que ce n'est pas si bon que ça sur les Aravis mais les phrases reçues ne sont pas complètes.

Après 20 minutes de marche, une vingtaine de voiture m'ayant ignoré, un homme s'arrête enfin et me dépose à Thônes. Je continue de marcher en direction de Faverges et une femme me récupère pour me déposer dans la vallée. Enfin, un couple me récupère pour m'amener à Doussard et récupérer la voiture de Nicolas qui permettra de faciliter la logistique des autres. Il m'aura fallut 1h30 pour rejoindre la voiture et 15 minutes pour récupérer les clés bloquées dans la boite à clé...

Pendant ce temps là, JB se vache dans la même combe que moi, la faute à un excès de confiance et une mauvaise lecture des brises d'après lui. Nicolas n'a pas réussi à tenir sur les Aravis croyant cheminer sereinement sans avoir à faire les plafonds et a posé (ou vaché) sur l'atterrissage de la Clusaz. Enfin, Damien est en train de s'approcher du Col du Tamié. C'est le seul à réussir à boucler le tour de 100km de la journée. L'honneur du club est sauf !

A partir de là, mon téléphone s'est mis à sonner souvent.

« Allo Rémi, je suis à la Clusaz, j'ai un bus pour Thônes. JB est en direction de Thônes si j'ai bien compris. » dit Nicolas en m'appelant.

T'inquiètes mon coco, j'ai compris, j'ai déjà eu JB un peu plus tôt, je suis parti pour retourner à Thônes avec ta caisse pour vous récupérer. Bon ba demi-tour pour les Aravis.

Pendant ce temps là, Alexis a récupéré la voiture, Lionel et Damien et commencent à rentrer sur Grenoble. Après 30 minutes de voiture, j'arrive à Thônes où je récupère les deux autres crosseux et on rentre à notre tour sur Grenoble, non sans prendre au passage un autre parapentiste auto stoppeur. Vive la solidarité entre volants !

Le groupe se retrouve alors, pour la première fois de la journée, ensemble pour faire un debriefing autour de pizzas. Arrivée finale au domicile : 23h pour un départ le matin à 6h45. Ça fait quand même une sacrée journée. Mais cela valait son pesant d'or. Magnifique météo, magnifique coin, magnifique transitions, magnifique vaches. La prochaine fois, on bouclera tous ensemble... ou pas.

Au final, on est bien parti à 6 mais on a eu le droit à 2 vachages dans les Aravis, 1 semi-vachage à l’atterrissage officiel de la Clusaz, 1 posé à Doussard et 2 posés au Col du Tamié. Et puis, on est rentré en ordre dispersé suivant qu'il fallait récupérer les voitures ou les uns et les autres aux 4 coins des massifs. Mais, c'est ça l'entropie du club en cross et c'est ce qui fait qu'on s'en souviendra tout le temps :-)

Toutes les traces ensemble (au moins 5) : https://parapente.ffvl.fr/cfd/liste/vols/20288838,20288760,20288426,20288565,20288656,20288774