A la guerre comme à la guerre

A la guerre comme à la guerre

Samedi 20 avril, midi. Très peu d'herbe visible entre toutes les voiles étalées au déco sud, et autant en l'air. On se pose, sandwich bronzage et on laisse passer les affamés. Faible motivation aujourd'hui, fatigué des émotions des deux jours précédents, reprise de la chute libre oblige, et découverte de ma nouvelle wingsuit, j'ai déjà bien puisé dans mes réserves d'adrénaline. Tout le monde parle de ses projets pour ce vol, perso "atterrir en un morceau" ça me va bien.

Une heure plus tard on se met en l'air. C'est bien alimenté, pas de problème au déco, ça monte en sortie de déco mais y'a du monde derrière qui décolle donc je laisse la place. Pilier sud, quelqu'un enroule, je garde mes marges je lui laisse son thermique, je repasse devant le déco, j'ignore le thermique puisque d'autres gens arrivent. A force de laisser les thermiques aux gens j'en ai plus... Mais ça monte partout donc pas d'inquiétude. Jess veut aller à la dent, cette fois elle fait des plafs dans chaque thermiques, allez, je la rejoint elle et Nico III. Ça secoue pas mal quand même, ma ventrale est bien serrée pourtant je met ça sur le compte de la fatigue, personne a l'air de rien dire... On a un bon plaf aux antennes, je vais voir à la dent des fois, mais non ça fait que dégueuler, 1600 ça suffira pas. École d'escalade, ça monte bien, cette fois le thermique est bien large et beaucoup plus laminaire. Les deux autres ont filés à Château Nardent. Moi il me va bien ce thermique ! Puis ils ont l'air de monter là bas, alors je les rejoint. Nico s'est fait satellisé, Jess fait demi tour ????

J'arrive, plus rien. -2,-3 partout... merde... Nico est perché, Jess retransite vers l'école, elle avance pas, elle se fait appuyer. W.T.F. Je la vois refaire un demi tour, ça sent le posé à St Naz... J'ai la voiture sur le plateau, de toute façon je suis HS, je vais rentrer vite fait la récupérer. Je gratte le moindre petit pétou pour assurer ma transi vers l'école d'escalade, y'a quasi rien... Petit coup d'oeil au gps 20kmh ??!! Donc 15 - 20 kmh de NE... Pourquoi j'ai pas pensé à regarder à l'aller... Ca va être la merde pour rentrer, sous le vent de tout les thermiques. Mais trop la flemme de faire du stop. Le cycle reprend à l'école d'escalade, ca monte d'un coup. Je m'éternise pas, j'ai assez pour faire la transi suivante.

A la radio j'entends parler de Bauges, de Belledonne... Je dois vraiment être trop fatigué si je suis le seul à me sentir savaté comme ça, il est temps de rentrer avant que ça finisse mal.

J'arrive aux antennes, quoiqu'il arrive je suis à distance de plané de Lumbin donc j'aurais pas à me vacher dans des conditions pourries... Ça secoue vraiment vraiment... J'aurais du me poser avec Jess, je savais bien que j'allais en chier à passer sous le vent des thermiques à chaque fois.  Et là CRACK. Le stab' droit qui vient toucher le stab' gauche. "PUTA****". [Tous les chamois lèvent la tête à l'écoute de ce crie de détresse].

#Starting Failsafe Mode; #All main cognitive functions suspended; #Initiate Adrenaline Rush; [Warning : Adrenaline and energy levels low... low... low... critical...]; t=0;

t=0.3s; Appuie sellette du côté opposé à la fermeture. t=0.5s; Tension à gauche mais pas sur-piloter. t=0.8s Check visuel pas de cravate pour l'instant. t=1s La tension revient à droite, ça ré-ouvre comme ça a fermé. PAS SURPILOTER MAIS PUTA*N QUE JE SUIS TENDU. t=1.5s Recheck, toujours pas de cravate, voile bien ouverte, j'ai gardé le cap... Par contre ça secoue toujours méchamment, je tiens bien la voile avec mes mains tremblantes.

Plus qu'une idée en tête : poser. Je continue mon cheminement vers l'attero du syndic. J'observe les voiles qui posent, apparemment je suis pas le seul à en avoir marre. C'est carnage. la manche à air indique un sud tranquille, mais tout le monde se pète la gueule. Le temps que j'arrive pas un seul reste debout au poser. Ça promet. Je garde en tête mon seul objectif fixé pour la journée : poser entier.

Montagnes russes en approche, +4 au dessus du village, -3 en finale. Ça tombe bien je vais finir court et pas dans la pente qui monte. "And another one gone, another one gone, another one bites the dust. Hey, I'm gonna get you too..." Oh no you won't, coup de bol (le nom que les rageux donnent au talent) je pose debout, tranquillement. Non sans petit pompage. Pas de posé Mac Twist pour cette fois. Mais je suis entier, mission accomplie. La voile tombe devant moi, m'indiquant un léger cul, mis en valeur par le moniteur qui pose en biplace juste à coté de moi, travers, qui se fait traîner. Un cocon plus loin, qui pose à 30 à l'heure, qui re-rentre ses jambes dans son cocon et qui frotte sur 10m avant de s’arrêter... Plus loin encore un posé sur le cul qui finit en faceplant avec la force de l'impact. Pendant ce temps là, la manche à air indique toujours léger face tranquilou. Ok merci de l'info.

Je remballe, tout le monde a l'air d'aller bien, mais je lis la même incompréhension sur le visage de tout les pilotes. Et c'est pas que le posé qui les interroges !

La journée s'est soldée par trois vachages sur les 7 pilotes du club en l'air. Et à priori tout le monde a eu plus ou moins le même ressenti !

Pour résumer : une fatigue certaine au déco, une motivation pas sans faille, des conditions (très toniques), un Nord-Est soutenu qu'aucune prévision n'avait anticipé. Ça faisait beaucoup de curseurs rouges que j'aurais du écouter en ce qui me concerne. Des fois il vaut mieux regretter d'être au sol que regretter d'être en l'air.